Début de l'histoire
C'est lors d'un week-end de travail (plutôt arrosé) à Boca Raton que germe chez les banquiers de JP Morgan, dirigés par Peter Hancock, l'idée des dérivés de crédits. Un concept inspiré des dérivés sur les matières premières, et notamment le blé, qui sera à l'origine de l'explosion des produits financiers complexes.
C'est à Boca Raton, près de Palm Beach, que l'idée des dérivés de crédits a germé © Habiba Yaakoubi
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Aucune réponse satisfaisante n'avait émergé ce week-end mais l'équipe de Hancock n'avait pas l'habitude de travailler avec des échecs. Elle passa ses journées à se triturer les méninges et elle réalisa que le concept était potentiellement révolutionnaire. Si vous pouviez réellement assurer les banques et les prêteurs contre le risque d'insolvabilité, cela pouvait générer une énorme vague de capital dans le circuit économique. J'ai connu des gens qui travaillaient sur le projet Manhattan. Pour ceux d'entre nous qui étaient du voyage, il y avait ce même sentiment d'être présent au moment de la création de quelque chose de très important, se souvient Mark Brickell, l'un des banquiers de l'équipe des swaps chez JP Morgan. En repensant à la réunion au Boca, Hancock ajoute : Nous avons vraiment insisté sur l'idée que nous utilisions les produits dérivés pour gérer le risque lié aux prêts des banques.
"Nous avons vraiment insisté sur l'idée que nous utilisions les produits dérivés pour gérer le risque lié aux prêts des banques." |
Extrait de "L'Or des fous", de Gillian Tett, 313 pages,
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livre "L'Or des fous"
~ Introduction ~
Les
banquiers étaient-ils devenus fous ? Aveugles ?
Diaboliques ? Ou bien étaient-ils tout bonnement
cupides ? Soyons clairs, notre histoire a connu son lot de
périodes prospères et de faillites. Les cracks
boursiers sont presque aussi anciens que l'invention de l'argent
lui-même. Mais la crise que nous traversons actuellement se
distingue d'autant plus qu'elle est vaste. Les économistes
estiment que les pertes totales pourraient se chiffrer entre deux
mille et quatre mille milliards de dollars, une somme qui est
similaire à la valeur du produit intérieur brut de
la Grande-Bretagne. Plus surprenant encore, ce désastre était
voulu. A la différence de nombreuses crises du système
bancaire, celle-ci n'a pas été provoquée par une
guerre, une récession généralisée ou un
choc économique venu de l'extérieur. Le système
financier s'est effondré sur lui-même apparemment
sans crier gare selon de nombreux observateurs. Tandis que les
usagers/consommateurs, les hommes politiques, ceux qui pensent
tout savoir sur tout et jusqu'aux financiers eux-mêmes se
penchent sur ce naufrage, la question que nous devons nous poser
est la suivante : pourquoi ? Pourquoi les banquiers,
les régulateurs et les agences de change ont-ils œuvré
ensemble pour élaborer et mettre en marche un système
qui était voué à l'échec ? N'ont-ils
pas su en voir les défauts ou bien n'ont-ils pas voulu les
prendre en considération ?
La
question essentielle qui se pose aujourd'hui est de savoir comment
la catastrophe s'est produite. Tout a commencé au sein d'un
petit groupe de banquiers autrefois liés à JP Morgan,
le pilier symbolique s'il en est du milieu bancaire. Dans les
années 90, ils ont développé une gamme de
produits innovants comme par exemple les CDS et les CDO qui
deviendront plus tard les dérivés de crédit. Les
concepts de l'équipe Morgan se sont répandus et
transformés dans l'économie mondiale tout entière.
Ils se sont trouvés confrontés aux autres innovations
qui avaient cours dans la finance immobilière. Tout cela a
joué un rôle capital à la fois au niveau du
crédit et de l'explosion qui a suivi. Les membres de
l'équipe JP Morgan ne sont pas les réels inventeurs des
dérivés de crédit. Mais le fait que leurs
produits spécifiques aient comporté beaucoup plus
de risques au niveau bancaire à l'échelle mondiale
donne un éclairage très précis sur la crise. Il
est également révélateur de savoir ce que les
banquiers de JP Morgan ( et plus tard JP Morgan Chase )
n'ont pas
fait lorsque leurs idées se sont retrouvées hapées
par la folie d'un marché encore plus tentaculaire.
L'histoire
de la formidable explosion du crédit et de sa faillite n'est
en aucun cas une épopée qui peut être clairement
attribuée à quelques individus avides ou
diaboliques. Elle raconte comment un système financier
global a dérapé à cause de mauvaises incitations
au rendement dans les banques, les fonds d'investissements, les
agences de notation, et cela avec des structures de régulation
perverties et un manque de vigilance. On comprend mieux toute
l'affaire en observant les faiblesses de l'être humain et en
analysant l'aspect économique ou financier.
Pendant
que beaucoup de banquiers avides jouent à l'évidence un
rôle essentiel dans cette tragédie et sans doute aussi
d'autres hommes fous et dangereux, le véritable drame c'est
que beaucoup de ceux qui ont été balayés dans la
tourmente n'agissaient pas délibérément pour de
mauvaises raisons.
Bien
au contraire, dans le cas de l'équipe de JP Morgan sur
laquelle repose le fondement de toute l'histoire, elle a
développé au départ ses idées de
produits dérivés parce qu'elle était convaincue
de leur bien-fondé pour le système financier
( évidemment aussi pour leur banque et les bonus que cela
allait engendrer pour elle ). Aujourd'hui encore, certains des
outils et des innovations qui ont été développés
pendant l'essor du crédit pourraient être considérés
comme ayant une valeur potentielle dans le monde de la finance du
XXIe
siècle.
Mais
voyons d'abord comment et pourquoi ils ont fait l'objet d'autant
d'abus.
Je
vous propose donc ce voyage dans l'histoire pour essayer d'en
comprendre les rouages et de répondre à cette question.
Je
dois d'abord vous expliquer la raison pour laquelle j'ai choisi de me
concentrer sur l'équipe de JP Morgan.
J'ai
commencé à m'intéresser à cette
histoire au printemps 2005 lors d'une conférence à
Nice. Quelques semaines auparavant, j'avais pris mes fonctions
d'éditrice des marchés financiers au Financial
Times.
Je m'étais envolée vers la Côte d'Azur pour
participer à une conférence sur le monde des dérivés
de crédit. A cette époque-là, la sphère
de la finance nageait en pleine euphorie. La question des dérivés
de crédit était pour la plupart des journalistes ( et
leurs lecteurs ) quelque chose de plutôt obscur et
ennuyeux. Je dois reconnaître que je le pensais aussi.
A
la différence de la plupart des autres quotidiens, le
Financial
Times
s'était toujours efforcé de couvrir les tenants et les
aboutissants de l'énorme dette et le marché des
produits dérivés. Pourtant, ces sujets-là
avaient traditionnellement suscité moins d'attention et se
révélaient moins prestigieux que lorsqu'on parlait
de finance d'entreprise, d'économies de marché ou de la
bourse. Des secteurs comme par exemple les actions cotées en
bourse ou le domaine social sont souvent plus faciles pour les
journalistes parce qu'ils sont simplement moins opaques et qu'ils
présentent des données très précises.
Pourtant,
fin 2004, alors que j'étais en charge de la rubrique Lex au
Financial
Times,
j'ai compris que quelque chose d'énorme était en marche
dans le vaste marché trouble des créances. Au départ,
je ne savais pas trop de quoi il s'agissait mais je sentais qu'il y
avait quelque chose. Alors, lorsque la chance s'est présentée
de diriger l'équipe des marchés de capitaux, je l'ai
saisie et je suis partie pour Nice afin de m'initier à ce
monde. Comme je devais le découvrir plus tard, ce genre de
conférences a toujours généralement lieu dans
des endroits comme Boca Raton, Barcelone, la Côte d'Azur ou
autre petit endroit de villégiature plutôt que dans des
villes comme Hull ou Detroit.
Ce
premier pas fut pour moi une expérience déconcertante.
L'entrée était pleine de jeunes gens et de jeunes
femmes vêtus de manière à la fois élégante
et confortable qui est l'apanage habituel que l'on retrouve à
la City ou à Wall Street : pantalon cargo de couleur
kaki, chemise, chaussures de sport assorties à de grosses
montres luxueuses pour les hommes ou à des boucle d'oreilles
plus discrètes mais tout aussi chères pour les dames.
La référence à des montants dépassant les
milliards de dollars, voire même plus, apparaissaient
négligemment au détour d'une conversation. Pourtant, la
plupart du temps, les banquiers évitaient de faire directement
référence aux sociétés ou aux clients
concernés tels que, par exemple, des entreprises de
construction ou des industriels de l'alimentaire.
La
finance était présentée comme une sorte de jeu
mathématique complètement abstrait qui évoluait
dans un cyber espace et qui ne pouvait être compris que par une
toute petite frange de l'élite. Il n'était pas question
ici de pièces de monnaie ou de billets, nous étions au
beau milieu d'équations mathématiques. Nous nagions
entre Gaussian Copula, écarts type, priorités,
couvertures en delta neutre ou encore Premier-to-Default panier
( forme simple de crédit structuré ).
Je
me sentais complètement déconcertée. J'avais
fait beaucoup de maths pendant ma scolarité mais je n'étais
pas du tout préparée à ce nouveau jargon.
Mais
lorsque je me suis assise dans la salle de conférence,
j'ai eu un sentiment de déjà vu. Dix ans plus tôt,
avant que je ne commence à travailler comme journaliste
financière, j'avais fait un doctorat en anthropologie sociale.
C'est la branche des sciences sociales qui étudie la
culture de l'homme à un niveau tout petit, dans une
perspective holistique et qui est basée sur les travaux
pratiques réalisés sur le terrain. A cette
époque-là, je m'étais servie de ma formation
pour trouver une signification aux rituels du mariage et au conflit
ethnique au Tajikistan, région montagneuse de l'Asie Centrale.
Mais, en jetant un coup d'œil autour de moi dans cette salle de
conférence à Nice, au printemps 2005, l'approche
que j'avais adoptée pour décoder les mariages Tajik m'a
été utile aussi pour les produits dérivés.
Comme
j'étais parfaitement néophyte en la matière, je
n'ai pas compris grand-chose aux discussions. Pourtant, les
conférences semblaient remplir une fonction structurelle
semblable à celle des cérémonies de
mariage. Les deux événements permettaient à une
tribu de joueurs d'intervenir pour rassembler, mélanger et
élaborer toute sortes d'alliances en marge de l'événement
principal. Ils retravaillaient puis renforçaient l'idéologie
dominante – ou schéma cognitif – qui
unissait le groupe, le transmettant ainsi de génération
en génération.
Les
PowerPoints que les banquiers présentaient sur des sujets
tels que les CDO ne se contentaient pas simplement de fournir des
éléments techniques complexes. Ils venaient aussi
renforcer le tacite, partageaient les suppositions à propos du
fonctionnement de la finance, venant même renforcer l'idée
qu'il était parfaitement autorisé de parler d'argent de
façon abstraite, mathématique et dans des termes très
complexes, sans faire référence à des êtres
humains.
Les
participants à cette conférence à Nice étaient
à peine conscients de ces « fonctions-là ».
Ils avaient peu de motivations au niveau de leur activité
ou pour en parler à des non-initiés. Les affaires
étaient prospères. Cela confirmait leur schéma
cognitif. De toute façon, quasiment personne en dehors de
leur sphère d'activité n'avait jamais montré le
moindre intérêt pour ce qu'ils faisaient. J'étais
la première journaliste venant d'un quotidien grand public à
s'être donné la peine d'assister à cette
conférence. Pour les autres journalistes, même ceux
qui évoluaient dans le monde des affaires, les CDO avaient
l'air bien trop ésotériques pour soulever le moindre
intérêt.
Me
sentant un peu mal à l'aise, j'ai regardé autour de moi
pour essayer de trouver un annuaire pour m'aider à
trouver des repères. Et puis qui étaient les
décideurs ? Comment allais-je interpréter ce
langage étrange ? Qui sont ces gens debout sur
l'estrade ? ai-je murmuré à l'oreille d'un
homme assis à côté de moi dans la salle sombre.
Sur
l'estrade, un groupe de jeunes financiers débattaient
sérieusement du thème suivant : Les investisseurs
comprennent-ils vraiment le risque zéro des CDO ? Il
semble que la réponse ait été « pas
toujours ».
Mon
voisin semblait nerveux. Il m'a répondu à voix basse
que sa banque interdisait à ses employés de parler aux
journalistes « depuis
que vous écrivez toutes ces sornettes à propos des
produits dérivés qui font tout exploser ».
Puis il nuança ses propos : Apparemment,
ils travaillaient tous chez JP Morgan.
JP
Morgan ?
ai-je répété, surprise. Au début du XXIe
siècle, c'était Goldman Sachs et son puissant réseau
d'anciens élèves qui semblait dominer le monde de la
finance, suscitant la jalousie de ses concurrents. A l'inverse, JP
Morgan semblait plutôt tristounet en comparaison. Pourquoi
parlait-on tellement d'eux aujourd'hui ? C'est
comme cette mafia chez Morgan. Ils ont créé en quelque
sorte le marché des produits dérivés,
m'a chuchoté mon voisin. Puis il s'est tu soudainement comme
s'il avait divulgué un véritable secret d'état.
Je
n'ai jamais revu cet homme, donc je n'ai jamais pu découvrir
s'il avait un lien personnel avec la Morgan Mafia. Mais ma curiosité
avait été éveillée. Dans les mois qui
suivirent, je me suis attachée à essayer de
comprendre ce domaine du crédit que je trouvais si étrange
et si peu familier. J'ai aussi tenté de comprendre pourquoi JP
Morgan avait joué un rôle aussi important dans cette
sphère.
Lorsque
je suis partie dans cette direction, je n'avais absolument aucune
idée des événements monstrueux qui allaient
finalement faire voler en éclat le monde du crédit. Par
chance, j'avais déjà vu un système bancaire
imploser puisque j'avais travaillé au Japon à la fin
des années 90. Pourtant, lorsque j'avais écrit sur ce
désastre, je n'imaginais pas du tout que je pourrais revoir ce
schéma dans le monde financier occidental, encore moins
dans le domaine des CDO. Ce qui m'a attiré vers le monde du
crédit, c'était simplement une intuition de
journaliste : quelque chose d'énorme se préparait
et personne ne semblait le percevoir.
Plus
tard, aux alentours de 2006, je me suis vraiment inquiétée
de ce que je voyais et j'ai commencé à dire que quelque
chose se préparait. Et puis, plus tard encore, lorsque le
système financier a commencé à s'effondrer,
j'ai compris que l'histoire du monde du crédit en général
et que le groupe JP Morgan en particulier donnent de bons éclairages
sur ce qui a mal tourné.
Soyons
clair, ça n'est pas parce que le groupe JP Morgan a été
personnellement engagé dans les abus que cela a fini par
détruire certaines banques. Cela n'est pas vrai. La mafia
Morgan n'a pas été non plus la seule à avoir
créé le marché pour des produits financiers
compliqués. Beaucoup d'autres banquiers ont été
mêlés aussi au processus. Pour écrire un livre
qui soit compréhensible, j'ai dû rationaliser
l'histoire.
Pourtant,
l'étrange voyage que le groupe Morgan a entrepris ces vingt
dernières années explique pourquoi le système
financier est devenu incontrôlable et pourquoi des idées
qui avaient semblé bonnes devenaient soudain terriblement
dangereuses.
C'est
une histoire tragique et salutaire, non seulement pour les banques,
mais aussi pour nous tous.
Partie I
INNOVATION
~ 1 ~
Le
rêve des dérivés
C'est
sur environ 800 mètres d'une plage privée immaculée
le long de la Côte d'Or en Floride que s'étend le Boca
Raton. De couleur rose bonbon, l'hôtel a été
conçu dans un élégant style méditerranéen
par l'architecte de Palm Beach, Addison Mizner. Depuis son ouverture
en 1926, l'hôtel s'est positionné dans l'exclusivité
haut de gamme. Il possède des statues de style italien et ses
palmiers sont soigneusement entretenus. Sa marina éblouissante
peut abriter jusqu'à trente-deux yachts. Il propose aussi un
tennis club professionnel, un spa dernier cri, un parcours de golf
conçu par un designer et une plage privée. Les
célébrités et l'argent ont régulièrement
fréquenté le palace réputé pour être
une enclave privée de luxe, elles peuvent s'y détendre
en toute tranquillité, loin des regards indiscrets.
Lors
d'un
week-end de
juin 1994, c'est une clientèle bien différente qui
est arrivée à l'hôtel. Il s'agissait de plusieurs
douzaines de jeunes banquiers des bureaux de JP Morgan à New
York, Londres et Tokyo. Ils étaient venus assister à
une réunion pour débattre de la façon dont
la banque pourrait développer ses produits dérivés
l'année suivante. Dans la chaleur humide de l'été,
au milieu des palmiers et des arcades, le groupe émit
l'hypothèse d'un nouveau genre de produits dérivés
qui transformerait le monde de la finance du XXIe
siècle et jouerait un rôle décisif dans la crise
économique la plus sombre que le monde ait connu depuis la
grande dépression. C'est
à Boca que nous avons commencé à parler
sérieusement des dérivés de crédit,
se souvient Peter Hancock, le patron anglais du groupe. C'est
vraiment à ce moment-là que l'idée a réellement
décollé et que nous avons compris la taille que cela
pourrait prendre.
Comme
dans la plupart des avancées capitales, l'origine exacte du
concept de dérivés de crédit est difficile à
pointer. D'après Hancock, qui aime en tant qu'intellectuel
représenter l'histoire comme étant une évolution
ordonnée des idées, le pas s'est produit à Boca
Raton. Pourtant, certains membres de son équipe ne gardent que
quelques vagues souvenirs confus de ce week-end. Les jeunes banquiers
étaient arrivés en Floride bien déterminés
à s'amuser le plus possible, pleins d'une joyeuse exubérance
et du sens de la fête.
Ils
travaillaient pour le département des « swaps »,
un domaine bien spécifique dans l'univers des produits dérivés
qui était l'un des secteurs de la finance qui se développait
le plus vite. Au début des années 80, JP Morgan ainsi
que plusieurs autres banques vénérables avaient sauté
sur ces produits dérivés ultra modernes et l'activité
dans ce domaine obscur avait explosé. En 1994, la valeur
totale théorique des contrats de produits dérivés
dans les livres de JP Morgan était de 1,7 billions de dollars
et l'activité des produits dérivés générait
la moitié du revenu de la banque1.
En 1992, une année où JP Morgan rendit le chiffre
public, le total était de 512 millions de dollars.
Au-delà
de ces chiffres, ce qui était surprenant, c'est que la
plupart des gens du milieu bancaire et des investissements
n'avaient pas la moindre idée de la façon dont les
produits dérivés généraient de telles
sommes, encore moins ce que ces soit disant groupes de swaps
faisaient réellement. Ceux qui travaillaient dans ce secteur
avaient tendance à s'amuser de son côté
mystérieux.
Au
moment où a eu lieu cette réunion à Boca, la
majorité du groupe JP Morgan avait moins de trente ans.
Certains venaient même tout juste de terminer leurs études.
Mais tous étaient convaincus, avec cette arrogance propre
à la jeunesse, qu'ils détenaient le secret pour
transformer le monde de la finance et augmenter de façon
spectaculaire la courbe des bénéfices. Beaucoup sont
arrivés à Boca en supposant qu'il s'agissait d'un
week-end offert par la direction pour les remercier de leur bon
travail.
Le
vendredi après-midi, tout le monde se salua dans la bonne
humeur puis on se dirigea vers les bars. Beaucoup arrivaient de
New York, quelques-uns de Tokyo et une grande partie des participants
venaient de Londres. Très vite, les verres se remplirent.
Lorsque la nuit avança, certains réquisitionnèrent
un mini bus pour se rendre au night club voisin. D'autres
récupérèrent des voiturettes de golf et se
précipitèrent sur les cours. Un groupe s'installa
autour de la piscine principale de Boca Raton, chacun essayant de
pousser l'autre dans l'eau.
Les
festivités allaient bon train autour du bassin. Peter Voicke,
un Allemand coincé qui portait le titre de responsable des
marchés mondiaux âgé pourtant de moins de
cinquante ans était le plus âgé des dirigeants
présents à cet instant précis. Il s'appliqua à
calmer tout le monde. Voicke avait donné son accord pour Boca
Raton dans l'espoir que cela allait établir un bon esprit de
camaraderie. C'est important de développer un esprit de
corps sain ! se plaisait-il à dire avec un accent
monotone. Mais la camaraderie dérapait. Sans vouloir tenir
compte de ses avertissements, plusieurs jeunes gens poussèrent
Voicke dans l'eau. Mes chaussures, mes chaussures ! se
mit-il à crier tandis qu'elles lui échappaient des
pieds.
Le
groupe qui avait déjà bien bu se dirigea ensuite vers
Bill Winters, un Américain jovial qui, à trente et
un ans, était le second responsable le plus âgé
à participer à la réunion. Sans grande
conviction, il tenta d'esquiver le groupe mais alors qu'il se
baissait, son visage se cogna contre un coude et le sang se mit à
couler. Vous m'avez cassé le nez ! se mit-il à
crier et il tomba lui aussi dans la piscine. Pendant un instant,
le silence fut total. Voicke était évidemment furieux.
Et maintenant, Winters était blessé lui aussi. Mais
Winters se mit soudain à rire et sortit de la piscine. Il
remit son nez en place et le jeu reprit.
Dans
certaines banques, faire tomber le patron dans l'eau aurait constitué
un motif de renvoi. Mais JP Morgan était fier de sa culture
d'entreprise très unie, voire fraternelle. Vu de l'extérieur,
on pouvait penser que les gens de JP Morgan étaient élitistes
et arrogants, complètement séduits par la banque
qui se targuait d'occuper une place prépondérante dans
l'histoire de la finance anglo-saxonne. Ceux qui en faisaient partie
considéraient souvent la banque comme leur famille. Le
groupe des produits dérivés était l'un des plus
indisciplinés mais l'une des équipes les plus unies.
Nous nous amusions vraiment, il y avait un bel esprit dans le
groupe à cette époque, se souvient Winters avec un
sourire nostalgique.
Lorsque
lui et son équipe se souviennent de ces années
complètement folles, beaucoup reconnaissent que ce furent les
plus beaux jours de leur vie. L'une des raisons qui expliquent cet
enthousiasme, c'est tout simplement Peter Hancock qui était
à la tête de l'équipe. A 35 ans, il était
à peine plus âgé que la majorité du groupe
mais il était leur père spirituel. De grande
taille, les cheveux clairsemés et plutôt maladroit de sa
personne, il émanait de lui quelque chose de réconfortant,
tel un médecin de famille ou un professeur d'université.
A la différence de beaucoup de ceux qui venaient pour dominer
le monde complexe de la finance, Hancock n'exhibait aucun diplôme
supérieur en mathématique ou en sciences. Comme la
majorité du personnel de JP Morgan, il avait rejoint la
banque à sa sortie de l'université mais, malgré
cela, il était très intellectuel, très attaché
à la théorie et aux pratiques financières sous
toutes leurs formes. Il considérait le monde autour de lui
comme un gigantesque puzzle intellectuel à décoder et
il aimait tout particulièrement développer des théories
élaborées sur la manière dont il était
possible de faire travailler l'argent partout de façon plus
efficace. En ce qui concernait ses salariés, il était
obsédé par l'idée de trouver un moyen de les
rendre encore plus performants. Et enfin, plus que tout, il adorait
le brassage et les échanges d'idées.
Il
lui arrivait parfois de le faire au cours de réunions tout à
fait formelles comme par exemple à Boca. Mais des idées
pouvaient jaillir soudain lorsqu'il traversait son bureau. Son équipe
avait surnommé ses éclairs de créativité
de « Bienvenue sur la planète Pluton »
parce que beaucoup des notions qu'il suggérait semblaient plus
tenir de la science fiction que du monde de la finance. Mais ils
adoraient sa force et ils lui étaient totalement dévoués
parce qu'ils savaient pertinemment qu'il était
complètement déterminé à protéger
et à récompenser généreusement sa
tribu. Ils étaient aussi liés par le sentiment d'être
de véritables pionniers.
L'équipe
des produits dérivés chez JP Morgan était
engagée dans l'équivalent pour la finance d'un voyage
dans l'espace. La puissance de calcul et les mathématiques
évoluées dépassaient largement le cadre
traditionnel du monde des affaires et ce petit groupe d'esprits
brillants dressait les limites extérieures de la cyber
finance. Tels les scientifiques qui essayaient de décortiquer
le code ADN ou de séparer l'atome, l'équipe des
swaps chez JP Morgan croyait que leurs expériences,
qualifiées d'innovation par les banquiers – il
s'agissait de l'invention de nouveaux moyens audacieux qui rapportent
résolvaient les énigmes les plus fondamentales de leur
discipline. On avait vraiment ce sentiment profond d'avoir
découvert cette technologie fantastique à laquelle nous
croyions et nous voulions l'implanter partout sur le marché
se souvient Winters. Nous avions le sentiment d'être
investis d'une mission.
Cela
venait en partie du fait que Hancock était très engagé
dans ses rapports avec les autres. Il était presque aussi
fasciné par la manière de gérer les gens
pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes que par les flux
financiers. Lorsqu'il fut nommé à la tête du
groupe des produits dérivés, Hancock avait commencé
à travailler sur les échanges avec son personnel. L'une
de ses premières missions avait été de revoir
comment son équipe des ventes et les traders communiquaient
entre eux. A l'inverse de ce qui se faisait habituellement, il décida
de donner à sa force de vente toute l'autorité
nécessaire pour définir les prix dans les affaires
difficiles au lieu de passer le relais aux traders. En agissant
ainsi, il pensait que les vendeurs seraient beaucoup plus
motivés et cela eut effectivement un impact très
positif au niveau des résultats. Il entreprit ensuite de
trouver de nouveaux systèmes de rémunérations
de façon à décourager la prise de risques
excessifs ou à élaborer des projets brillants
considérés comme acquis. Il voulait encourager la
collaboration et la réflexion sur le long terme plutôt
que la recherche individuelle de gains sur le court terme. Le système
de valeurs de l'équipe était déjà bien
mis en place, surtout si on le compare à celui de la plupart
des banques de Wall Street mais Hancock était convaincu que JP
Morgan avait besoin d'aller encore plus loin.
Dans
les années qui ont suivi, il engagea un anthropologue social
qu'il chargea d'étudier les dynamiques de l'entreprise au sein
de la banque. Il mit en place des sondages pour déterminer
quels employés communiquaient le mieux avec ceux des autres
départements. Il utilisa ensuite ces données comme
repère pour calculer les indemnités des employés
et tracer des schémas informatiques complexes. Il était
convaincu que les départements devaient étroitement
collaborer les uns avec les autres de façon à pouvoir
échanger des idées et contrôler les risques des
autres. Le découpage des départements, affirmait-il,
était fatal. A un moment donné, en plaisantant à
moitié, il lança l'idée de traquer les emails
des employés pour mesurer de façon scientifique
l'interaction entre les départements. La suggestion n'alla pas
plus loin. Le département des ressources humaines a pensé
que je devenais fou ! se souvient-il. Mais si vous
voulez mettre en place les conditions requises pour innover, tout le
monde doit se sentir libre de proposer des idées. C'est
impossible d'y parvenir si tout le monde se bagarre tout le temps !
L'une
des expériences les plus audacieuses que Hancock ait menées
fut de se concentrer sur le groupe clé à l'intérieur
de l'équipe des swaps, connu sous le nom « d'investisseur
en marketing des produits dérivés »
( soit IDM en anglais ). Les banquiers qui faisaient partie
de cette équipe se sont assis autour d'un grand bureau au 3e
étage du siège de JP Morgan et le rôle du groupe
est un peu sorti de ce qui se faisait habituellement. Même si
le marketing de produits existait déjà, il agissait
davantage comme un incubateur d'idées qui n'avait pas
d'existence interne propre. Il gérait un ensemble de produits
comprenant des schémas financiers structurés liés
au monde de l'assurance ainsi que des contrats permettant de
réduire les taxes.
Quelques
mois avant la réunion au Boca Raton, Hancock avait contacté
Bill Demchak, un jeune banquier ambitieux à l'excellente
réputation dans le milieu bancaire, pour prendre la direction
de l'IDM. Bien déterminé à conduire
l'innovation, Hancock lui avait dit : Il faudra que vous
réalisiez au moins la moitié de vos revenus annuels
avec un produit qui n'existe pas à ce jour !
Selon
les codes de Wall Street, c'était une mission surprenante. En
général, un groupe qui découvrait une brillante
idée pour générer de l'argent en réclamait
l'exclusivité et l'exploitait à fond aussi longtemps
que possible. Hancock voulait qu'IDM invente des produits et les
transmette tout de suite de façon à pouvoir avancer sur
de nouvelles inventions. Demchak accepta volontiers cette
mission pour le moins décourageante. Le défi
l'intéressait et, d'une certaine façon, il semblait
être l'homme idéal pour servir de faire-valoir aux
ambitions créatives de Hancock. Il venait d'un milieu modeste
et il n'avait pas oublié ses racines. Il avait grandi
dans une famille bourgeoise de Pittsburgh et avait fait des études
supérieures dans les affaires à Allegheny en
Pennsylvanie. Il avait obtenu un MBA à l'Université du
Michigan et rejoint JP Morgan au milieu des années 80.
Généralement, il était jovial mais si
quelqu'un le contrariait ou faisait l'idiot, il pouvait exploser.
C'était un bourreau de travail mais il aimait aussi faire la
fête. Si vous le rencontriez, vous ne pouviez pas deviner
qu'il venait de Wall Street, déclarait un de ses
collègues de Pittsburgh. L'esprit aiguisé de
Demchak détectait le moindre problème en quelques
secondes. Il savait très bien aussi faire le lien entre
plusieurs idées et faire fonctionner ensemble des domaines
très différents du système bancaire. Il avait
également l'âme d'un leader et il savait inculquer
l'esprit de loyauté à ses employés. Ses
collègues plaisantaient souvent en disant que sans le Demchak
« pratique », Hancock « serait
resté sur Pluton ». C'était l'homme
qu'il fallait pour mettre en place les schémas de son patron.
Hancock
embaucha aussi un autre banquier ambitieux dans les bureaux de
l'équipe à Londres. Bill Winters, qui avait accepté
son nez cassé avec une telle bonne grâce, venait lui
aussi d'un milieu relativement modeste comparé à
une bonne partie de l'élite du monde financier. Il avait fait
ses études à l'Université Colgate dans l'état
de New York et rejoint la banque dans le milieu des années 80.
Il avait tout pour lui : ses collègues femmes pensaient
qu'il ressemblait un peu à George Clooney mais il
préférait rester éloigné des projecteurs.
Alors que Demchak explosait lorsqu'il rencontrait une résistance,
Winters, lui, faisait preuve de plus de flexibilité et avait
tendance à tourner autour des problèmes, obtenant
ce qu'il voulait avec tact. Il ne comptait pas ses heures de travail.
C'est
à la fin des années 80 que Hancock remarqua Winters
pour la première fois, alors qu'il travaillait dans le domaine
des produits dérivés des marchandises. Nous l'avons
envoyé au Mexique et j'ignore comment il a fait, mais il a
persuadé le gouvernement de couvrir le risque avec nous sur la
moitié de sa production de pétrole et son taux
d'intérêt se
souvient Hancock. Il n'y a eu aucune discussion, il l'a
fait. C'est son style. Hancock le recruta pour s'occuper de la
branche européenne de l'équipe des produits dérivés
pour que les « deux Bill », comme les
surnommaient leurs collègues, travaillent ensemble main dans
la main pour favoriser les échanges d'idées innovantes
des deux côtés de l'Atlantique.
En
dehors de la recherche d'échanges de l'équipe, il
fallait maintenant conduire les nouvelles variétés
de produits financiers, que l'on appelait « produits
dérivés », sur un nouveau terrain.
Lorsque
les banquiers parlent de produits dérivés, ils prennent
plaisir à noyer le concept dans un jargon complexe. Cette
complexité opacifie le monde des produits dérivés
et rend ainsi service aux intérêts des banquiers.
La surveillance s'en trouve ainsi réduite et confère du
pouvoir aux quelques personnes qui peuvent en percer le mystère.
Toutefois, bien que les produits dérivés soient devenus
horriblement compliqués, ils sont aussi anciens que l'idée
de finance elle-même. Comme le sous-entend le nom, un produit
dérivé n'est, de façon très simple, rien
de plus qu'un contrat dont la valeur provient d'un autre atout :
une obligation, un titre ou encore une quantité d'or.
L'essentiel pour les produits dérivés, est que ceux qui
les achètent et les vendent font tous un pari sur la valeur
future de cet atout. Les produits dérivés offrent aux
investisseurs soit un moyen de se protéger ( par
exemple contre une éventuelle évolution négative
des prix ) soit de faire des paris avec des enjeux énormes
( sur évolution des prix qui peuvent représenter
d'énormes remboursements ). Au cœur de cette
tractation, on joue sur le facteur temps.
Imaginons
par exemple qu'un jour, le taux de change de la livre en dollar soit
le suivant : 1 livre anglaise vaut 1,5 dollar. La personne qui
va faire un voyage de Grande-Bretagne vers les Etats-Unis dans les
six mois qui suivent, et qui pense que le taux de change risque
d'être moins intéressant, peut décider d'établir
un contrat pour s'assurer que, juste avant de partir, elle
pourra bien acheter des dollars à ce taux. Elle peut très
bien signer un accord pour échanger 1 000 livres
avec une banque dans un délai de six mois au taux de 1,50
dollar, quel que soit le taux actuel de change. On peut décider
d'accepter que cet accord doit réellement se faire, et dans ce
cas le taux de change du moment importe peu
contrat à terme standardisé. Mais le voyageur peut
aussi accepter de payer des frais, disons 25 dollars, pour avoir
« l'option » de changer au taux de 1,50 dollars
qu'il peut annuler si le taux devient plus favorable.
Les
options de commerce en produits dérivés existent depuis
des siècles. Des exemples rudimentaires de contrat à
terme standardisé et de contrats d'options ont été
découverts sur des plaques d'argile de Mésopotamie
datant de 1750 avant JC. Aux XIIe
et XIIIe
siècles, les monastères anglais faisaient du commerce
avec des contrats à terme standardisés avec les
marchands qui venaient de l'étranger pour vendre de la
laine jusqu'à vingt ans d'anticipation, et il est connu aussi
qu'au XVIIe
siècle aux Pays-Bas, lorsque le prix des tulipes commençait
à grimper, les achats et les ventes effrénés des
marchands des contrats à terme standardisé de tulipes
conduisirent à un engouement tel que cela finît dans une
faillite spectaculaire.
L'époque
moderne du commerce des produits dérivés a commencé
lorsque la Chambre de Commerce de Chicago a été créée
en 1849 et a permis l'achat et la vente de contrats à terme
standardisé et d'options sur les denrées agricoles. Les
cultivateurs de blé pouvaient acheter des contrats à
terme standardisé avant la récolte sur le prix que leur
blé pouvait rapporter en espérant se couvrir contre des
prix bas dans l'éventualité d'une récolte
exceptionnelle. Les spéculateurs acceptaient le risque
des pertes redoutées par les fermiers, dans l'espoir de
récupérer de gains importants qui tournaient trop
souvent mal2.
A
la fin des années 70, une nouvelle époque audacieuse
d'innovation en produits dérivés a vu le jour sous
le coup de percées technologiques et de la volatilité
croissante sur les marchés financiers. Des produits dérivés
arrivèrent du secteur des marchandises vers le domaine de
la finance. Le système de crédit et de contrôles
des échanges instauré à Bretton Woods après
la seconde guerre mondiale qui avait maintenu une certaine stabilité
sur les marchés mondiaux s'effondra et les valeurs de la
monnaie étrangère qui avaient été
déterminées par rapport au dollar devinrent libres.
Cela
entraîna des fluctuations imprévisibles dans les
taux de change. Les chocs pétroliers ont généré
un mélange pernicieux de récession et d'inflation aux
Etats-Unis avec une inflation qui a finalement atteint les 13,2% en
1981. Les investisseurs secoués se précipitèrent
pour trouver des moyens de se protéger contre l'impact
dévastateur des taux d'intérêt élevés
– le taux préférentiel atteignit 20% aux
Etats-Unis en juin 1981 – et des mouvements continuels des
cours dans les taux de change.
Historiquement,
la meilleure façon de s'isoler par rapport à cette
volatilité extrême consistait à acheter un fonds
diversifié d'atouts. Si par exemple une entreprise qui faisait
des affaires aux Etats-Unis et en Allemagne était concernée
par ces fluctuations de taux de change entre le dollar et le mark,
elle pouvait se protéger en possédant la même
quantité des deux monnaies. Quels que soient les mouvements
des taux, les pertes pouvaient être compensées par des
bénéfices identiques. Mais il y avait aussi une
nouvelle manière innovante de se protéger contre ces
fluctuations : acheter des produits dérivés pour
donner aux clients le droit d'acheter des devises étrangères
à des taux de change spécifiques dans le futur. Le taux
d'intérêt des contrats à terme standardisé
et les options ont fait irruption permettant ainsi aux investisseurs
et aux banquiers de parier sur le niveau des taux dans le futur.
L'autre
point fort du secteur des produits dérivés qui a connu
une évolution très rapide est le domaine très
créatif des « swaps » dans lequel
l'équipe de Hancock était spécialisée. Il
s'agissait pour les banques d'investissement de trouver deux
interlocuteurs avec des besoins complémentaires sur les
marchés financiers et de négocier un échange
entre eux qui génère des bénéfices
mutuels, ce qui valait aux banques de belles commissions.
Imaginons,
par exemple, deux propriétaires qui ont 500 000 dollars
de crédit immobilier sur 10 ans. L'un bénéficie
d'un taux d'intérêt flottant tandis que l'autre a
un taux fixe à 8%. Si le propriétaire à 8%
attend que les taux baissent, et que l'autre attend qu'ils montent,
alors, plutôt que de négocier chacun un nouveau
prêt, ils peuvent se mettre d'accord pour que chaque trimestre,
pendant la durée de leur prêt, ils « échangent »
leurs paiements. Les prêts ne changent pas de mains, ils
restent bien dans les banques d'origine. C'est ce que les banquiers
appellent un accord « synthétique ».
Salomon
Brothers a été l'un des premiers banquiers à
exploiter le potentiel des échanges de produits dérivés
lorsqu'il a négocié un accord complètement
précurseur entre IBM et la World Bank en 19813.
En 1979, David Swensen, titulaire d'un doctorat de Yale, nouveau venu
au sein du département négociation de Salomon Brothers,
avait repéré qu'IBM avait besoin d'augmenter sa réserve
de dollars. La société américaine détenait
aussi des quantités excessives de Francs suisses et de Marks
qui provenaient de la vente d'obligations afin d'augmenter les
réserves dans ces deux monnaies. Normalement, IBM devait aller
sur le marché des devises pour acheter des dollars. Swensen
comprit alors qu'IBM pouvait échanger un peu de ses francs et
de ses marks contre des dollars, sans avoir besoin de les vendre :
il fallait trouver un partenaire pouvant émettre des
obligations en dollars afin qu'elles coïncident avec celles
d'IBM en francs et en marks.
La
World Bank était un candidat potentiel : elle avait
toujours besoin de cash dans beaucoup de devises. Comme dans
l'exemple de nos deux propriétaires qui rédigent
un contrat pour échanger les termes de leur prêt
hypothécaire, IBM et la World Bank pouvaient échanger
les gains de leurs obligations et leurs obligations de porteurs sans
qu'aucune obligation ne change de main. En 1981, après deux
ans de discussions sur les détails, Salomon Brothers annonça
qu'il venait de conclure le premier échange de devises du
monde, entre IBM et la World Bank, pour une valeur de 210 millions de
dollars sur dix ans.
Cette
nouvelle forme de contrat se répandit vite dans Wall Street et
la City à Londres pour devenir quelque chose de très
complexe. Les banquiers semblèrent alors être investis
de pouvoirs faramineux. En utilisant les produits dérivés,
ils pouvaient démonter des avantages existants ou des contrats
et en rédiger de nouveaux qui les faisaient réapparaître
sous des formes complètement nouvelles, leur valant ainsi des
rémunérations énormes.
Evidemment,
pour réaliser ces contrats, il fallait trouver deux
partenaires qui soient convaincus d'en tirer un bénéfice.
Dans la finance synthétique, tout comme dans les vrais
marchés, les contrats ne peuvent se signer que s'il y a
un acheteur pour chaque vendeur. Mais étant donné la
globalisation du monde bancaire et le nombre des joueurs dans
l'économie mondiale qui avaient des besoins complémentaires
et des attentes différentes au niveau des conditions du
marché, les banquiers avaient un large éventail
d'options. Certains joueurs avaient besoin de marks, d'autres
voulaient des dollars.
D'autres
encore voulaient se protéger contre des augmentations de taux
d'intérêt alors que le reste croyait que les taux
avaient des chances de baisser.
Les
joueurs aussi avaient des raisons différentes de vouloir
parier sur les prix à venir d'éléments actifs.
Certains investisseurs aimaient les produits dérivés
parce qu'ils voulaient contrôler le risque comme les
cultivateurs de blé qui préféraient clôturer
sur un prix rentable. D'autres voulaient les utiliser pour faire des
paris à haut risque dans l'espoir de faire des bénéfices.
Ce qu'il faut savoir à propos des produits dérivés,
c'est qu'ils pouvaient aider les investisseurs à réduire
le risque ou à faire une bonne affaire avec davantage de
risque. Tout dépendait de la façon dont on les
utilisait, des raisons et des compétences de ceux qui
tiraient les ficelles.
A
l'époque où l'équipe des swaps chez JP Morgan
arrivait au Boca Raton en juin 1994, le volume total du taux
d'intérêt et des produits dérivés de
devises dans le monde était estimé à 12 000
milliards de dollars, soit beaucoup plus que la valeur de l'économie
américaine. La vitesse à laquelle le marché
s'est développé a vraiment pris tout le monde de court.
C'était vraiment remarquable, se souvient Peter Hancock
qui avait été un élément essentiel de ce
développement.
A
beaucoup d'égards, la carrière de Hancock a fait de lui
l'homme idéal pour participer à cette gigantesque vague
d'innovation. Il était né en 1958 au sein d'une famille
anglaise de la haute société bourgeoise à
Hong Kong. Comme beaucoup d'enfants issus de ce milieu et de cette
génération, il avait été envoyé
dans un pensionnat anglais où il excellait en rugby. Il avait
décidé de devenir un grand inventeur. Après
de nombreuses heures passées dans les livres de science, il
était parti pour Oxford où il avait étudié
la physique. Ses objectifs furent bousculés lorsqu'il se
blessa gravement pendant un match de rugby. Cloué au lit
pendant un long moment, il ne pouvait pas se déplacer
dans le laboratoire de physique. C'est à ce moment-là
qu'il opta pour la philosophie, la politique et l'économie qui
étaient des matières plus faciles à étudier
en étant allongé. Lorsqu'il obtint son diplôme,
il se prit d'intérêt pour le milieu bancaire et les
principes de la liberté des marchés. J'ai décidé
que devenir inventeur allait devoir attendre, se souvient-il.
Il
avait choisi de faire un métier qui lui rapporterait plus
d'argent que ce que pouvait lui apporter le milieu scientifique.
C'était le genre de décision que l'on retrouvait
fréquemment chez les étudiants brillants de cette
époque-là. La City de Londres et Wall Street étaient
de plus en plus attirants.
Fraîchement
diplômé, il postula pour des emplois au sein de sociétés
internationales en pensant rouler sa bosse un peu partout. Mais,
lorsqu'il reçut une proposition de travail pour la succursale
à Londres de Morgan Guaranty Trust Company ( c'est-à-dire
la banque Morgan ) qui devait s'appeler plus tard JP Morgan, il
ne se posa pas de questions et accepta. C'était un choix pour
le moins inhabituel pour un diplômé anglais. La City de
Londres était dominée par des banques anglaises et,
bien que des groupes américains se soient bien implantés
dans la City pendant les années 70, les institutions de Wall
Street recrutaient massivement des diplômés américains.
Mais JP Morgan
avait toujours eu une identité multiculturelle4.
Bien connue pour être l'une des sociétés les plus
importantes de Wall Street, ses racines étaient bien dans la
City, là où le banquier américain Junius
Spencer Morgan s'était chargé de la société
anglaise de courtage George Peabody & Co en 1864 pour la
rebaptiser JS Morgan & Co. Son fils John Pierpont Morgan
avait travaillé dans l'entreprise pendant quelques années
puis on l'avait envoyé à New York où il s'était
associé à la riche famille Drexel : Drexel Morgan
& Company était née. A la mort d'Anthony
Drexel, l'entreprise prit le nom de JP Morgan. La banque américaine
devint rapidement une mine d'idées. John Pierpont Morgan géra
lui-même plusieurs gros dossiers et fusionna avec brio un
certain nombre d'entreprises sidérurgiques qu'il avait
achetées pour former la sidérurgie américaine.
Il finança également de grosses affaires dans le chemin
de fer, le transport maritime, l'exploitation minière du
charbon et autres secteurs clés de l'industrie. A la fin du
XIXe
siècle, le groupe était devenu tellement omniprésent
qu'il sembla exercer autant de pouvoir sur les marchés
financiers que le gouvernement américain lui-même.
Lorsque
la crise frappa Wall Street en 1893, Morgan lui-même mit en
place un syndicat pour fournir au Trésor américain la
somme de 65 milliards de dollars en or, garantissant ainsi sa
solvabilité. Dans la panique de 1907, lorsque la Bourse de New
York perdit la moitié de sa valeur, Morgan injecta de grosses
sommes d'argent venant de sa fortune personnelle et rallia d'autres
banquiers de pointe à sa cause. Il étayait ainsi le
système bancaire.
Au
cours des années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, la
banque perdit une partie de son pouvoir. Après la faillite de
1929, une réaction populiste à l'encontre de Wall
Street amena l'introduction du Glass-Steagall Act pour obliger
les banques à séparer les opérations
qu'elles effectuaient sur les marchés de capitaux – la
gestion des dettes et des valeurs mobilières – et
celles réalisées dans les banques de dépôts.
L'empire JP Morgan fut amené à se diviser pour créer
plusieurs entités comme Morgan Stanley, le courtage américain,
Morgan Grenfell, un courtage anglais et JP Morgan, qui se consacrait
à la banque de dépôt. Mais la banque maintint un
rapprochement peu habituel avec les deux gouvernements et des clients
puissants de premier ordre comme Coca-Cola et AT&T. Le patrimoine
international de la banque était également
préservé à tel point que le personnel de JP
Morgan plaisantait parfois en disant que faire partie du groupe,
c'était comme entrer dans la diplomatie ou au service de la
Grande-Bretagne mais avec un salaire beaucoup plus élevé.
Lorsque Peter Hancock rejoignit la banque, il fut envoyé à
New York pour suivre une formation d'un an en compagnie d'une
cinquantaine d'autres recrues dont la moitié seulement
étaient américaines. Ce fut une expérience
vraiment extraordinaire. Il y avait des Chinois, des Malaisiens, des
Français. Nous logions tous ensemble dans un petit
immeuble dans le sud de la Upper East Side à Manhattan,
raconte Hancock.
La
formation en elle-même pourtant ne satisfaisait pas beaucoup la
passion de Hancock pour tout ce qui était innovant. Le
« Programme de gestion de la banque de dépôt »
tel qu'il était nommé, se déroulait au siège
historique de la banque, c'est-à-dire au numéro 23 de
Wall Street, juste en face de la rue de la bourse dans un
impressionnant immeuble à colonnes où J. Pierpont
Morgan lui-même avait travaillé. La première
moitié de la formation avait lieu dans une salle de classe, on
apprenait les rudiments fondamentaux de la banque et cela différait
peu de ce qui se faisait à l'époque de JP Morgan :
évaluer le risque de crédit en lisant le bilan d'une
entreprise et en analysant ses résultats. L'objectif de la
formation était d'apprendre à mesurer le risque
qu'une entreprise pouvait prendre sur un prêt, élément
clé du système de fonctionnement de la JP Morgan.
Pour l'autre partie de la formation, les recrues devaient se
comporter comme des analystes subalternes dans des transactions
concrètes.
Les
stagiaires devaient passer le plus de temps possible à
décortiquer les chiffres de l'entreprise. Quelques années
auparavant, ces calculs se faisaient encore à la main.
Lorsqu'ils avaient besoin de voir le prix d'obligations, ils
consultaient un énorme livre de barèmes. Mais, au
moment où Peter Hancock assurait la formation, les
calculatrices de poche programmées, qui déterminaient
le cash flow de l'entreprise et mesuraient le risque, commençaient
à faire fureur. Un nouvel élitisme technologique
faisait la loi et les stagiaires se trouvaient à l'avant-garde
d'une nouvelle espèce audacieuse de banquier.
Chez
les stagiaires de la banque Morgan, pourtant, on insistait bien sur
le fait que les mathématiques ne représentaient qu'une
partie des opérations bancaires
comme par exemple les relations avec les clients et la réputation,
avait aussi une grande importance. Dans les années 30, au
moment de la levée de bouclier contre Wall Street, la
crédibilité du fils de J. Pierpont Morgan – J.P
« Jack » Morgan Jr – avait été
mise à mal par le Congrès. Il avait expliqué que
son objectif, au sein de la banque, était de diriger une
entreprise de première classe avec toute la maîtrise due
à son rang. Cinquante ans plus tard, ce mantra pour le moins
étonnant de Jack Morgan étonnait une bonne partie du
monde de la banque. Des années d'innovation audacieuse avaient
fait du commerce à haut risque et de la transaction
offensive le critère rêvé de tous et c'était
l'éthique du « tuer ou être tué »
qui l'emportait.
Au
23 de Wall Street, pourtant, les cadres supérieurs parlaient
toujours de la banque comme s'il s'agissait d'un art noble où
les relations à long terme et la loyauté avaient
leur importance, tant au niveau des transactions avec les
clients qu'à l'intérieur de la banque. Tandis que, dans
d'autres banques, on s'attachait à trouver des acteurs
vedettes auxquels on proposait des bonus énormes et qu'on
encourageait à rivaliser pour être le premier, chez
Morgan, on favorisait le travail d'équipe, la loyauté
de l'employé et l'engagement à long terme envers la
banque.
Une
bonne partie du personnel n'avait travaillé que chez JP
Morgan et, même si la banque payait moins que la plupart
de ses concurrents, on avait en échange une meilleure
sécurité de l'emploi. On prévenait
solennellement les jeunes stagiaires pendant la formation que si la
banque pouvait tolérer des erreurs de jugement, une erreur de
principe était un motif de licenciement. Une banque de
première classe, tel que le spécifiait le mantra.
Hancock
réussit la formation haut la main et retourna au bureau de
Londres où il demeura pendant quelques années. Il était
chargé d'analyser la solvabilité des compagnies
pétrolières de la Mer du Nord. C'était un
travail en or parce que les industries pétrolières de
Norvège et de Grande-Bretagne commençaient à
prospérer. Mais Hancock avait envie d'autre chose. A la City,
il voyait bien autour de lui que les produits dérivés
comme les échanges étaient en pleine mutation. Et
il voulait en être.
La
banque Morgan était considérée comme trop rigide
pour être pionnière
dans les domaines de pointe. Les vrais innovateurs, c'était
Salomon Brothers et Bankers Trust qui savaient se montrer
offensifs et iconoclastes. Peu de temps après que Salomon ait
annoncé son échange sur IBM et World Bank, JP Morgan
partit en quête des mêmes objectifs.
Au
départ, tout n'est pas parti de JP Morgan mais de la branche à
Londres de la succursale d'une entreprise connue sous le nom de
Morgan Guaranty Limited ( MGL ). Le Glass-Steagall
interdisait à la principale banque de New York d'intervenir
sur les marchés de capitaux, autorisée en revanche
à l'étranger. Les autorités de régulation
à Londres adoptèrent une attitude plus souple en
permettant aux banques de proposer des services plus variés.
C'est ainsi que Morgan Guaranty a bâti sa bonne réputation
sur les marchés de capitaux. Dans les années 60, le
talentueux trader Dennis Weatherstone était à la
tête d'une affaire florissante sur le marché des
changes. Dix ans plus tard, elle passa dans le secteur de l'émission
de titres de l'entreprise. Le succès fut éclatant,
en partie parce que les entreprises américaines
comprirent qu'elles pouvaient payer moins d'impôts à
Londres qu'à New York.
Ce
créneau permit à Morgan Guaranty d'entrer dans le
secteur des swaps et, dès le début des années
80, la banque Morgan a pu commencer à proposer des affaires à
ses clients par l'intermédiaire de sa filiale à
Londres. Cela lui permettait de profiter de la magie des swaps. C'est
l'exemple parfait d'une innovation géniale qui correspondait
parfaitement aux besoins du client. Cela a vraiment apporté
des solutions, rappelle Jakob Stott, l'un des jeunes banquiers
qui faisait partie de l'équipe des swaps.
Il
faut bien avouer que ces contrats relevaient de la performance. Avant
qu'un contrat ne puisse être conclu, il fallait trouver deux
partenaires dont les besoins concordaient. Cela pouvait déjà
prendre des semaines. L'un des premiers contrats à avoir été
signé concernait un swap entre le gouvernement autrichien et
la Commerzbank. Les employés passèrent un
après-midi entier à taper les détails sur un
telex et à expliquer très clairement les cash flows à
venir à leurs clients. Dans les années 80, le rythme
s'est amélioré. Les bénéfices aussi.
Les
jeunes traders du groupe étaient complètement excités
par leur pouvoir grandissant et la liberté dont ils
disposaient. Dans la banque, en dehors de l'équipe des swaps,
rares étaient ceux à savoir comment fonctionnaient les
affaires et Connie Volstadtle, leader de l'équipe, connu pour
être l'un des esprits les plus brillants dans le monde des
produits dérivés, jouissait d'une grande autonomie.
Volstadt affichait un mépris total envers les cadres
supérieurs de la banque Morgan et révélait
les détails les plus infimes sur les transactions de l'équipe.
Les membres de l'équipe adoraient taquiner ceux qui étaient
dans les départements les plus fermés. Nous avions
le sentiment d'être à part, détachés de
tous, d'être une petite équipe très liée,
se souvient Stott.
De
temps à autre, les cadres supérieurs de la direction
tentaient de couper les ailes de l'équipe des swaps. En 1986,
Lewis Preston, qui était alors le directeur de JP Morgan,
était parti pour Londres et avait contesté la façon
dont Volstadt appréciait la valeur des transactions. A ce
moment-là, JP Morgan, tout comme les autres banques, n'était
pas très claire sur la façon dont elle mesurait la
valeur des transactions d'échanges car les directives
comptables n'étaient pas encore mises au point.
Vous
dites que votre groupe a réalisé un bénéfice
de 400 millions de dollars, avait
lancé Preston à Volstadt. Mais j'ai plutôt
l'impression qu'il s'agit d'une perte de 400 millions de dollars.
Furieux, Volstadt avait nommé une équipe de jeunes
analystes et des stagiaires pour réexaminer chaque
justificatif où étaient enregistrés les contrats
et lorsqu'il prouva ce qu'il avait affirmé, Preston céda.
Cet épisode était révélateur de la façon
dont la direction considérait les traders des swaps. Pour
elle, il s'agissait d'un groupe d'adolescents brillants mais
difficiles.
Tandis
que Hancock observait les bonnes affaires réalisées par
le groupe des swaps depuis sa cage dorée dans l'équipe
de la banque de dépôt de JP Morgan, il était
fasciné et impatient de se joindre à eux. Alors, en
1984, il rejoignit le groupe de liaison à Londres et en 1986,
il se débrouilla pour aller à New York où la
banque développait son opération de produits
dérivés. Les dirigeants de JP Morgan avaient compris,
pour leur plus grand bonheur, qu'il n'y avait pas de clause explicite
dans le Glass-Steagall allant à l'encontre de l'exploitation
des produits dérivés.
Au
départ, le rôle de Hancock au sein de l'équipe
était plutôt modeste. Il s'occupait d'une petite
équipe de finances qui utilisait les swaps pour le bilan des
actifs et des passifs de la banque. Mais Hancock était
quelqu'un de structuré et d'opportuniste et il trouva
rapidement des moyens de se rendre visible. Après
l'effondrement de la bourse en 1987, les taux d'intérêt
avaient chuté et la banque dut faire face à des pertes
inexpliquées assez importantes au niveau de ses produits
dérivés. Hancock dut s'expliquer à propos de ce
qui s'était passé devant la direction de la banque et
il se retrouva à gérer un petit bureau au siège
qui s'occupait de produits connus sous le nom de « plancher »
et de « casquette ».
Lorsque
la banque devint JP Morgan en 1988, Hancock, en navigateur
avisé, mit en place une équipe qui se déplaçait
dans Manhattan avec un gros logo JP Morgan. Cela attira l'attention,
surtout depuis que l'équipe de Hancock avait battu de peu le
navire Goldman Sachs. Il apprit tout ce qu'il pouvait à
propos du fonctionnement des produits dérivés. Il
fit impression aussi sur Dennis Weatherstone, le directeur de la
banque. Weatherstone était un personnage légendaire. Il
venait de la classe ouvrière anglaise et c'est d'abord à
l'âge de seize ans qu'il rejoignit la banque en tant que
coursier à Londres. Il devint ensuite un trader brillant au
niveau des devises étrangères puis il finit par monter
tout en haut de la hiérarchie.
En
1988, une occasion se présenta pour Hancock. Connie Volstadt
partit chez Merrill Lynch, emmenant avec lui une demi-douzaine de ses
collaborateurs. Cela généra un problème. Dans
les autres banques, la manière évidente de combler
l'important manque à gagner laissé par le départ
de Volstadt aurait été d'embaucher un nouveau gourou et
de construire une nouvelle équipe venue des banques
concurrentes. Mais JP Morgan embauchait rarement des étrangers
à des postes de cadre supérieur. La grande majorité
de ses cadres avaient grimpé les échelons assurant
ainsi à la banque sa culture d'entreprise. Les cadres
supérieurs nommaient à l'origine certains des salariés
de la jeune équipe de Volstadt pour prendre la suite.
Il
devint bientôt évident qu'ils ne pouvaient pas le
remplacer et Hancock saisit sa chance.
En
1990, il avait trente deux ans et on le trouvait trop jeune pour
diriger un département. Mais il savait comment s'y prendre et
son nom commença à circuler. Un an après le
départ de Volstadt, Weatherstone annonça que
Hancock allait prendre la direction de l'équipe des swaps.
Parfois dans la vie, vous avez une chance soudaine qui se
présente à vous alors il faut la saisir !
se souvient Hancock. Le soi-disant inventeur avait l'opportunité
de laisser libre cours à ses envies.
Pendant
les quatre années qui suivirent, Hancock surfa sur la vague
des produits dérivés. Lorsque les swaps avaient
décollé, JP Morgan n'était pas du tout
considéré comme innovateur. En 1994, ses compétences
étaient aussi bonnes que celles de ses concurrents. Et même,
la banque possédait quelques avantages que les autres
n'avaient pas. Respecté en tant que prêteur commercial,
Morgan avait accès à une grande variété
de sociétés de premier ordre et de gouvernements qui
étaient souvent impatients de gérer des contrats de
produits dérivés.
La
banque était aussi parmi les rares à bénéficier
d'un AAA sur l'échelle de notation des crédits. Cela
rassurait les clients de savoir que la banque avait les reins
suffisamment solides pour piloter ses contrats. A la fin des années
80, les groupes de produits dérivés ne se contentaient
plus de chercher des partenaires pour mener à bien les
contrats de produits dérivés, ils utilisaient leur
propre capital pour mener les transactions avec leurs clients à
grande échelle. Lorsque les clients réduisaient les
négociations avec JP Morgan, l'évaluation en AAA les
assurait que la banque serait toujours là.
Tandis
que le secteur se développait, le département des swaps
se félicitait de voir que cela générait un
partage croissant des bénéfices de la banque. Au début
des années 90, cela représentait presque la moitié
des revenus de la banque et Hancock avait été promu
pour s'occuper non seulement du groupe des produits dérivés
mais du département entier dont il faisait partie, connu
comme revenu fixe. Il était pressenti pour être un
candidat de premier choix pour occuper le poste de directeur.
Quelques
mois avant la réunion de Boca, une journaliste de Fortune
demanda à Hancock d'expliquer comment un swap complexe pouvait
fonctionner : Les
traders des produits dérivés sont « comme le
vaisseau spatial Galilée qui part sur Jupiter ».
Vous êtes au-delà du risque binaire et en même
temps dans une combinaison de risques comme par exemple les taux
d'intérêt et les devises. Imaginez une compagnie
pétrolière qui court le risque de voir les prix du
pétrole chuter et les taux d'intérêt grimper.
Pour se couvrir, elle pourrait acheter un prix plancher du pétrole
et une casquette de taux d'intérêt. Mais elle peut
préférer quelque chose de moins cher. Dans ce cas, nous
pourrions établir un contrat qui rembourserait uniquement si
les prix du pétrole étaient bas et les taux d'intérêt
élevés dans le même temps5.
L'homme
qui avait rêvé d'être un inventeur était
dans son élément. Pourtant à Boca, Hancock
n'était pas d'humeur à faire la fête. Il savait
que le secteur des produits dérivés atteignait un point
crucial dans son évolution et son équipe devait
s'adapter. Le problème essentiel, c'était ce qu'il
décrivait comme « le fléau du cycle de
l'innovation ». Dans l'industrie ou les produits
pharmaceutiques, les brevets assurent la protection d'un nouveau
produit ou d'une idée, les concurrents ne peuvent tout
simplement pas voler cette innovation. Dans le secteur bancaire, les
brevets ne sont pas une tradition. Lorsque les financiers ont
une idée brillante, aucune règle n'empêche les
concurrents de la copier sur le champ et ils ont vite fait de mettre
la pression vers le bas sur les marges bénéficiaires.
Le
secteur des swaps a symbolisé ce problème. Dès
que Salomon Brothers a réduit sa première transaction,
d'autres banques comme JP Morgan ont fait la même chose et le
marché s'est développé. L'explosion de
l'activité a eu un impact fâcheux sur les marges
bénéficiaires. Alors que la première vague
de transactions de swaps avait des marges élevées,
puisque les imitateurs avaient sauté sur l'occasion, la
concurrence a fait baisser les commissions. Pendant des années,
le problème n'avait pas vraiment occupé l'esprit de
Hancock parce que le volume des transactions prenait de l'ampleur.
Mais il ignorait combien de temps la tendance allait se maintenir et,
s'il voulait que son département reste l'exception, il devait
trouver une nouvelle façon de gérer les transactions.
Il sentait peser sur lui une énorme pression pour trouver la
Nouvelle Grande Idée.
Tandis
que son équipe voyait en ce week-end l'occasion de bien
s'amuser, Hancock avait un emploi du temps très chargé.
En rassemblant son jeune groupe venu des quatre coins du monde
pendant quarante-huit heures, il espérait bien susciter une
flambée d'innovation.
Le
samedi matin, le groupe se rassembla dans une salle de conférence,
non loin de la mer toute bleue, pour une première réunion.
Hancock demanda à la ronde comment ils allaient déclencher
de nouvelles innovations dans les produits dérivés. Les
banquiers allaient-ils savoir appliquer les principes à de
nouveaux domaines ? Et qu'en était-il du monde de
l'assurance ? Ou encore des prêts et du crédit ?
L'équipe n'était pas d'humeur à se torturer les
méninges. Certains subissaient le décalage horaire et
la plupart planait. Bill Winters était occupé à
soigner son nez méchamment enflé et se demandait
comment il allait l'expliquer à sa femme de retour chez
lui. Franchement, je ne me souviens pas très bien de ce qui
s'est dit, allait avouer plus tard, avec un rire penaud, Bill
Demchak, le membre de l'équipe qui était de fait
l'adjoint de Hancock. Il ajouta que tout ce dont il se souvenait,
c'est qu'en réglant sa note à l'hôtel, sa facture
comportait un jet-ski endommagé et beaucoup de
cheeseburgers. C'était le reste de l'équipe qui s'était
amusé à les lui mettre sur sa note.
Mais
il était impossible de résister à l'énergie
de Hancock. Il déambulait dans la salle, lançait
des idées, et, très vite, tout le monde s'échauffa.
Une idée clé commença à émerger :
utiliser les produits dérivés pour gérer le
risque lié aux obligations des sociétés et aux
prêts. Les produits dérivés sur les matières
premières, lança quelqu'un, laissent les
producteurs de blé gérer le risque lié aux
pertes sur leurs récoltes. Pourquoi ne pas créer
un produit dérivé qui permettrait aux banques de parier
sur un prêt ou un titre susceptible de chuter ? Les
défauts représentaient la source de risque la plus
importante au niveau des prêts commerciaux alors les
banques seraient peut-être partantes pour parier avec des
produits dérivés qui leur permettraient ainsi de
se couvrir en cas de pertes. Ce serait une forme d'assurance contre
les défauts.
En
réalité, l'idée n'était pas nouvelle.
Trois ans auparavant, la Bankers Trust, connue pour être très
inventive, avait mené les toutes premières négociations
dans ce créneau. C'est ce qu'avait fait l'équipe de
Connie Volstadt chez Merrill Lynch. Cela n'avait pas marché
parce que ces échanges ne semblaient pas vraiment rentables.
Mais, tandis que le débat s'annonçait animé au
Boca, Hancock et les autres commencèrent à trouver le
concept très prometteur. Après tout, le monde était
plein d'institutions – et pas seulement de banques –
qui étaient exposées au risque d'insolvabilité
sur les prêts.
JP
Morgan avait bien une montagne de prêts dans ses livres qui
créait régulièrement de véritables
problèmes. Que se passerait-il si un produit dérivé
pouvait être conçu pour protéger du risque
d'insolvabilité ou bien pour parier volontairement
dessus ? Est-ce que les investisseurs voulaient réellement
acheter ce genre de produit ? Est-ce que les régulateurs
allaient accepter qu'il soit mis en vente ? Si oui, qu'est-ce
que cela pouvait signifier pour le monde financier si le risque
d'insolvabilité, le risque le plus essentiel qui soit dans la
banque traditionnelle, n'était qu'un autre jouet dans les
mains des traders ?
Aucune
réponse satisfaisante n'avait émergé ce week-end
mais l'équipe de Hancock n'avait pas l'habitude de travailler
avec des échecs. Elle passa ses journées à se
triturer les méninges et elle réalisa que le concept
était potentiellement révolutionnaire. Si vous pouviez
réellement assurer les banques et les prêteurs
contre le risque d'insolvabilité, cela pouvait générer
une énorme vague de capital dans le circuit économique.
J'ai connu des gens qui travaillaient sur le projet Manhattan.
Pour ceux d'entre nous qui étaient du voyage, il y avait ce
même sentiment d'être présent au moment de la
création de quelque chose de très important, se
souvient Mark Brickell, l'un des banquiers de l'équipe des
swaps chez JP Morgan6.
En repensant à la réunion au Boca, Hancock ajoute :
Nous avons vraiment insisté sur l'idée que nous
utilisions les produits dérivés pour gérer le
risque lié aux prêts des banques.
Ce
n'est que beaucoup plus tard que l'équipe comprit les
implications de ces idées, connues sous le nom de crédit
dérivés. Comme c'est le cas de tous les produits
dérivés, ces outils permettaient de contrôler le
risque mais ils pouvaient aussi l'amplifier. Tout dépendait de
la façon dont ils étaient utilisés. C'est le
contrôle du risque qui poussa Hancock et son équipe à
continuer. C'est son amplification qui domina le monde des affaires
une dizaine d'années plus tard et qui allait finalement
contribuer à la catastrophe financière mondiale...
(......)
Dans
les années 80, les banquiers se sont approprié l'idée
qui avait été utilisée pour les prêts
immobiliers en tranches et en dés et l'ont appliquée
aux titres d'entreprises et aux prêts. Demchak et son équipe
firent un pas de plus et l'appliquèrent aux dérivés
de crédit. L'idée était qu'au lieu de prendre un
portefeuille de différents prêts immobiliers et de
vendre ensuite aux investisseurs une participation dans ce
portefeuille, on pouvait utiliser un paquet de contrats de dérivés
de crédit qui assurait un tiers contre le risque
d'insolvabilité. En termes financiers, cela revenait à
prendre trente contrats différents d'assurance
habitation, à les regrouper et à persuader un plus
grand consortium d'investisseurs extérieurs de garantir le
risque que les pertes pouvaient affecter ces trente maisons.
Tout
comme dans le cas des transactions sur les lettres de gage, pourtant,
les investisseurs qui souscrivaient à cette « assurance »
– ou à ce groupement de contrats CDS –
pouvaient choisir le niveau de risque qu'ils souhaitaient
prendre. Si un investisseur voulait tenter sa chance, il pouvait
accepter de payer la première vague de réclamations si
par exemple quelques contrats tournaient mal. Les investisseurs qui
voulaient davantage de sécurité pouvaient souscrire au
niveau de risque « mezzanine » ou à un
niveau intermédiaire. C'était la même chose que
le fait de payer sur le plan d'une assurance collective lorsque les
pertes dépassent 5 000 dollars mais ne vont pas au-delà
de 100 000 dollars. La partie la plus sûre de ce plan,
c'était le niveau senior, là où les
investisseurs ne devaient payer le prix des défauts de
paiement qu'après que les réclamations ou pertes aient
été si étalées que tous les autres
investisseurs avaient été effacés. Il y avait
différentes tranches de risque.
Pour
compléter son plan, l'équipe décida également
d'emprunter un autre outil dans le domaine de la sécurisation
des prêts immobiliers. Une pratique très répandue
dans les banques consistait à créer des sociétés
écran spécifiquement pour acheter des offres groupées
de prêts immobiliers et vendre les titres afférents. Ces
sociétés portaient généralement le nom de
structured investment vehicle ( SIV ) et elles étaient
habituellement situées dans des juridictions offshore comme
par exemple les Iles Caïman et les Bermudes pour s'assurer de ne
pas être exposées à l'impôt américain.
L'équipe de Demchak décida de mettre en place un SIV
pour jouer le rôle que la BERD avait rempli lors du swap avec
Exxon. La société écran assurerait JP Morgan
contre le risque des prêts, Morgan payant une avalanche de
commissions au SIV et le SIV acceptant de payer Morgan en cas de
pertes. Pendant ce temps, le SIV vendait de plus petits morceaux
de ce risque aux investisseurs aux niveaux synthétiquement
découpés junior, mezzanine et senior.
Le
bon côté de la chose, c'est que l'équipe de
Demchak avait calculé que le SIV n'aurait besoin de
vendre qu'une seule petite partie des effets à des
investisseurs extérieurs afin de réunir l'argent pour
assurer le risque. Normalement, le SIV devait être
« complètement financé »,
cela signifie qu'il fallait vendre les effets représentant la
somme totale du risque qu'il couvrait. Mais l'équipe de JP
Morgan reconnut que le financement total n'était pas
nécessaire. Les défauts de remboursement seraient
tellement faibles qu'un tel capital ne serait pas nécessaire
pour couvrir les pertes.
L'équipe
de Demchak travailla subrepticement pour mettre cette théorie
en pratique. Dès le départ, ils décidèrent
de viser le plus haut possible7.
Partons sur dix milliards de dollars, avait-il
déclaré. Il aimait les gros chiffres ronds.
L'équipe
identifia 307 sociétés pour lesquelles JP Morgan
supportait les risques, soit un montant de 9,7 milliards de dollars.
Ils mirent ensuite en place une société écran et
ils calculèrent que l'entreprise n'aurait besoin de vendre que
700 millions d'effets pour couvrir n'importe quel dividende
nécessaire à JP Morgan, soit environ 8% de tout le
risque assuré. Cela ressemblait à ce que pouvait
proposer une compagnie d'assurances sur une maison d'une valeur de 1
million de dollars alors qu'elle n'avait que 75 000 dollars dans
ses caisses. Pour assurer ses arrières, Demchak décida
que le SIV investirait cette cagnotte de 700 millions de dollars dans
des bons du Trésor qui représentaient une valeur sûre.
Si cela s'avérait nécessaire, il n'y avait aucun souci
à se faire, l'argent serait bel et bien là. Ce plan
d'investissement ultra sûr allait aussi aider à rassurer
les investisseurs sur la solidité du projet.
L'équipe
contacta ensuite les gens de l'agence Moody pour obtenir son aval et
mieux convaincre les investisseurs. Pendant plusieurs mois, l'équipe
de Demchak discuta beaucoup avec les agences de notation de la même
façon que les banquiers chez NatWest, Swiss Bank Corporation
et Chase l'avaient fait auparavant à propos de leurs plans de
sécurisation. Certaines personnes qui s'occupaient des
notations s'inquiétaient de ces 700 millions de dollars
qu'elles trouvaient insuffisants pour assurer la totalité de
ces quelques 10 millions de dollars de prêts. Elles suggéraient
des techniques pour mettre le plan au point. Pourtant, les gens de JP
Morgan faisaient remarquer que les propres éléments des
agences de notations révélaient que les risques
d'insolvabilité restaient vraiment dérisoires. En fait,
tout ce que JP Morgan avait fait, c'était utiliser les modèles
de défaut créés par Moody pour les adapter à
la logique la plus extrême.
Au
final, après de multiples va-et-vient, ils décidèrent
d'accepter les arguments de JP Morgan. En dehors de la cagnotte de
700 millions de dollars, les deux tiers de la somme reçurent
l'indispensable label AAA. Le reste celui du BA2.
En
décembre 1997, alors qu'une grande partie du monde financier à
New York se préparait aux vacances de Noël, l'équipe
de Demchak dévoila enfin son plan. Ils lui avaient donné
ce nom affreux de « Bistro », raccourci de
« broad index
secured trust offering ».
Le groupe mit tous ses espoirs dans la vente des effets. Certains
investisseurs restèrent sans voix. On
dirait une expérience scientifique avec toutes ces flèches !
Lança, déconcerté , un gestionnaire de fonds.
Masters était cependant très efficace au niveau du
marketing. En faisant preuve de beaucoup de ténacité et
en affichant une passion presque évangélique, elle
expliqua aux investisseurs potentiels comment fonctionnait le projet.
Elle fut récompensée de ses efforts. En quelques jours,
l'équipe avait vendu les 700 millions de dollars. La curiosité
était si forte que Masters en conclut qu'il y avait matière
à conclure beaucoup d'autres transactions. L'équipe
était ravie. D'un seul coup, ils avaient réussi à
supprimer le risque lié au crédit dans les banques et
ceci à très grande échelle. Cela allait
permettre à JP Morgan de lever la pression sur les limites
internes de crédit. Mais il y avait aussi des implications
économiques plus grandes, non seulement pour JP Morgan mais
également pour le système financier tout entier. S'il
était maintenant facile de supprimer le risque lié au
crédit auprès des banques, celles-ci allaient pouvoir
peaufiner leur portefeuille de prêt ( SUITE
DANS LE LIVRE )
La
suite de L'Or des Fous en commandant sur ce site
~ La
table des matières du livre ~
Préface..............................................................................page
7
Partie
I Innovation
1
Le rêve des
dérivés.........................................................page
13
2
Danse avec les
régulateurs.............................................page
35
3
L'équipe
rêvée...............................................................page
57
4
La fin de
l'improvisation................................................page
75
5
La manie de la
fusion.....................................................page 91
Partie
II Perversion
6
L'innovation se
déchaîne...............................................page
107
7
Monsieur Dimon
arrive.................................................page 127
8
Une affaire
risquée........................................................page
141
9
La folie du recours au levier
financier.............................page 155
10
Tremblements.............................................................page
171
Partie
III Le désastre
11
Les premiers
échecs......................................................page
197
12
Panique à
bord.............................................................page
211
13
Panique
bancaire..........................................................page
225
14
Bear
explose.................................................................page
249
15
Chute
libre...................................................................page
263
Épilogue
2008...................................................................page
285
Épilogue
2010...................................................................page
299
À
propos des
sources.........................................................page
309
Glossaire...........................................................................page
310
1
Loomis J. Carol : Le risque qui ne sera pas éliminé,
Fortune, 7 mars 1994.
2
Dodd, Randall, Backgrounder : Derivatives, Initiative for
Policy Dialogue www2.gsb.columbia.edu/ ipd/j_derivatives.html
3
Interviews de l'auteur, voir aussi Lowenstein, Roger, When Genius
Failed, Harper Collins, 2001 pp.103-4.
4
Voir Chernow, Ron, The House of Morgan, Grove, 2001.
5
Loomis, J. Carol, op. cit.
6
Philips, Matthew, The Monster that ate Wall Street, Newsweek,
6 octobre 2008.
7
Voir le Guide JP Morgan des dérivés de crédit,
Risk Publications, 1999. Voir aussi Das, Satyajit, CDO et produits
de crédit structuré, Wiley, 2005 p. 322-44 pour une
large explication à propos de la signification de Bistro par
rapport aux structures qui en découlent et l'impact que cela
a eu sur le secteur.
------------------------------
Un accord de principe en ce sens a été conclu entre le Parlement et les représentants des gouvernements européens, à l'issue de longues tractations, a indiqué un porte-parole de la présidence polonaise de l'UE.
"Le Parlement s'est battu pour mettre fin à la spéculation sur les dettes souveraines en Europe. L'interdiction des CDS à nu sur la dette souveraine est une grande victoire", s'est réjoui l'élu écologiste français Pascal Canfin, rapporteur du texte, qui s'était battu pour l'interdiction (et qui a été nommé comme ministre "2ième ecologiste EELV" dans le gouvernement d'aurault en 2012).
Le Commissaire européen aux services financiers, Michel Barnier, a salué au cours d'une conférence de presse un "accord ambitieux qui marque le renforcement de la stabilité financière", y voyant "un signal important du volontarisme européen" à quelques jours d'un sommet crucial de l'UE sur la crise de la dette, dimanche.
Impossible d'acheter des CDS sans détenir des obligations
Les CDS (credit default swaps) sont des contrats de couverture contre le risque de défaut de paiement d'une entreprise ou d'un pays. Les CDS souverains s'appliquent à la dette des Etats: ils agissent comme des contrats d'assurance dont le paiement est déclenché en cas de faillite d'un pays.
Dans le cas de CDS souverains "à nu", ces assurances s'échangent sans que les investisseurs détiennent des titres de dette correspondant, ce qui signifie qu'ils bénéficient de l'assurance, sans le risque. Le prix des CDS à nu a donc tendance à monter lorsque le marché spécule sur le risque de défaut de l'Etat concerné.
"Ce texte démontre que l'Europe peut agir contre la spéculation quand elle en a la volonté politique. Avec le compromis trouvé aujourd'hui, il ne serait plus possible pour un fonds spéculatif d'acheter des CDS grecs ou italiens sans détenir d'obligations de ces Etats et donc ainsi spéculer sur la faillite du pays", a souligné M. Canfin.
La Commission européenne avait présenté une proposition de règlement en septembre 2010, à la demande du président français Nicolas Sarkozy et de la chancelière allemande Angela Merkel, pour mieux encadrer les CDS. Le Parlement européen avait voté l'interdiction des CDS souverains à nu en juillet, mais certains Etats, comme l'Italie, y étaient réticents, craignant que leur interdiction n'affecte la liquidité du marché de leur dette souveraine.
Un compromis a été trouvé permettant aux Etats qui le souhaitent de ne pas appliquer ce règlement pendant une période donnée, en fonction de critères spécifiques. Ils devront en informer l'autorité de régulation financière européenne (ESMA) qui devra se prononcer sur le bien-fondé des arguments avancés.
Les ventes à découvert plus encadrées
Le texte, qui devrait être voté en séance plénière par le Parlement européen en novembre, comporte aussi des dispositions sur les ventes à découvert. Quand un acteur de marché vendra à découvert une grande quantité de titres d'une entreprise ou d'un Etat, il devra en informer les autorités de supervision et, dans certains cas, le marché.
Les ventes à découvert à nu seront plus encadrées: le vendeur devra avoir localisé le titre ou, à défaut, effectuer un emprunt équivalent. Si, après la transaction, il est incapable de livrer le titre dans les trois jours, un règlement en liquide sera exigé le 4e jour, sous peine d'amende.
Enfin, l'ESMA pourra restreindre temporairement les ventes à nu de manière exceptionnelle en cas de chute brutale des cours.
L'Union européenne a décidé mardi soir (18/10/2011) d'interdire des instruments financiers hautement spéculatifs, appelés contrats "CDS à nu".
Ils sont utilisés sur les marchés pour parier sur le défaut de paiement des États et accusés d'avoir amplifié la crise.Un accord de principe en ce sens a été conclu entre le Parlement et les représentants des gouvernements européens, à l'issue de longues tractations, a indiqué un porte-parole de la présidence polonaise de l'UE.
"Le Parlement s'est battu pour mettre fin à la spéculation sur les dettes souveraines en Europe. L'interdiction des CDS à nu sur la dette souveraine est une grande victoire", s'est réjoui l'élu écologiste français Pascal Canfin, rapporteur du texte, qui s'était battu pour l'interdiction (et qui a été nommé comme ministre "2ième ecologiste EELV" dans le gouvernement d'aurault en 2012).
Le Commissaire européen aux services financiers, Michel Barnier, a salué au cours d'une conférence de presse un "accord ambitieux qui marque le renforcement de la stabilité financière", y voyant "un signal important du volontarisme européen" à quelques jours d'un sommet crucial de l'UE sur la crise de la dette, dimanche.
Impossible d'acheter des CDS sans détenir des obligations
Les CDS (credit default swaps) sont des contrats de couverture contre le risque de défaut de paiement d'une entreprise ou d'un pays. Les CDS souverains s'appliquent à la dette des Etats: ils agissent comme des contrats d'assurance dont le paiement est déclenché en cas de faillite d'un pays.
Dans le cas de CDS souverains "à nu", ces assurances s'échangent sans que les investisseurs détiennent des titres de dette correspondant, ce qui signifie qu'ils bénéficient de l'assurance, sans le risque. Le prix des CDS à nu a donc tendance à monter lorsque le marché spécule sur le risque de défaut de l'Etat concerné.
"Ce texte démontre que l'Europe peut agir contre la spéculation quand elle en a la volonté politique. Avec le compromis trouvé aujourd'hui, il ne serait plus possible pour un fonds spéculatif d'acheter des CDS grecs ou italiens sans détenir d'obligations de ces Etats et donc ainsi spéculer sur la faillite du pays", a souligné M. Canfin.
La Commission européenne avait présenté une proposition de règlement en septembre 2010, à la demande du président français Nicolas Sarkozy et de la chancelière allemande Angela Merkel, pour mieux encadrer les CDS. Le Parlement européen avait voté l'interdiction des CDS souverains à nu en juillet, mais certains Etats, comme l'Italie, y étaient réticents, craignant que leur interdiction n'affecte la liquidité du marché de leur dette souveraine.
Un compromis a été trouvé permettant aux Etats qui le souhaitent de ne pas appliquer ce règlement pendant une période donnée, en fonction de critères spécifiques. Ils devront en informer l'autorité de régulation financière européenne (ESMA) qui devra se prononcer sur le bien-fondé des arguments avancés.
Les ventes à découvert plus encadrées
Le texte, qui devrait être voté en séance plénière par le Parlement européen en novembre, comporte aussi des dispositions sur les ventes à découvert. Quand un acteur de marché vendra à découvert une grande quantité de titres d'une entreprise ou d'un Etat, il devra en informer les autorités de supervision et, dans certains cas, le marché.
Les ventes à découvert à nu seront plus encadrées: le vendeur devra avoir localisé le titre ou, à défaut, effectuer un emprunt équivalent. Si, après la transaction, il est incapable de livrer le titre dans les trois jours, un règlement en liquide sera exigé le 4e jour, sous peine d'amende.
Enfin, l'ESMA pourra restreindre temporairement les ventes à nu de manière exceptionnelle en cas de chute brutale des cours.