Naissance du RFS:
A l’occasion de l’appel d’offre de la Délégation générale à la langue française (DGLF) en juin 1999, sur le thème « Observations des pratiques linguistiques », un certain nombre de chercheurs d’universités diverses et qui avaient eu l’occasion de se mettre en contact à l’occasion de projets d’habilitation de diplômes mis en ouvre à l’Université de Tours ont décidé, sur des thèmes liés aux pratiques linguistiques en France, d’amorcer des échanges scientifiques. Ces chercheurs ont donc convenu, dans le cadre de leurs équipes respectives, de présenter des projets autonomes, et complémentaires. A moyen terme et pour compléter cette amorce de collaboration, l’idée d’une rencontre courant 2000 s’est formée.Courant novembre 1999, l’EA 2534 de l’ENS Fontenay-St Cloud « Plurilinguisme et apprentissages » et l’UPRESA 6058 du CNRS / Aix-Marseille I, « Etudes créoles et francophones », se sont associés au projet d’un colloque, réalisé à Tours, et dont l’intitulé a été « France, pays de contacts de langues ».
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L'affaire Benisti
RAPPORT PRELIMINAIRE DE LA COMMISSION PREVENTION DU GROUPE D’ETUDES PARLEMENTAIRE SUR LA SECURITE INTERIEUREPrésidé par Jacques Alain Bénisti, Député du Val-de-Marne et les membres de la Commission sur la prévention de la délinquance Rapport remis à Dominique de VILLEPIN, Ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales Octobre 2004
http://rfs.socioling.org/spip.php?article28
Lettre adressée à M. Benisti, suivie du c-r de l'entrevue avec M. Benisti de Michel Grenié, Louis-Jean Calvet et Philippe Blanchet
Madame, Monsieur,
Dans le cadre de la préparation d'une loi sur la prévention de la délinquance annoncée par M. Dominique de Villepin, Ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, un rapport préliminaire lui a été remis en octobre dernier par la commission prévention du groupe d'études parlementaire sur la sécurité intérieure (GESI), présidée par Jacques Alain Bénisti, député du Val de Marne.
Si c'est d'abord comme citoyens que nous avons pris connaissance de ce texte, c'est ici en tant que professionnels de l'étude du langage, des langues et de leur apprentissage que nous réagissons à la lecture de ce document. Celui-ci ne pouvait nous laisser indifférents, tant il regorge de simplifications outrancières, de contrevérités et de pseudo-évidences.
Avant de proposer des mesures qui se veulent préventives, les rédacteurs se livrent à un examen, période par période et dès " le berceau ", du parcours type d'un jeune délinquant.
Or, dans ce parcours type, le fait d'avoir des " parents d'origine étrangère " susceptibles d'utiliser " le parler patois du pays " à la maison constituerait, dans la chaine des causes, le premier facteur potentiellement générateur de déviance.
Les auteurs établissent ainsi d'emblée un lien implicite mais néanmoins direct entre bilinguisme et trajectoire déviante, tout en ciblant, par le recours à la désignation dévalorisante " parler patois du pays ", certains bilinguismes. Partant de ce postulat, ils préconisent que les parents s'obligent " à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n'avoir que cette langue pour s'exprimer " (p. 9). S'ensuit toute une série de mesures à mettre en ouvre dans le cas où les parents passeraient outre cette injonction première. Ces mesures médicalisent et partant, stigmatisent, les pratiques langagières et les locuteurs, alors même que le rapport s'émeut plus loin des effets possibles de la stigmatisation sur les enfants en échec scolaire (p. 15).
D'un point de vue sociolinguistique, ces déclarations appellent plusieurs remarques :
. Il est indéniable que la maitrise du français, langue de l'école et de la société est indispensable à l'insertion sociale des futurs citoyens. Mais, il n'en reste pas moins qu'assimiler, toujours de manière implicite, le bilinguisme à une pathologie et le mettre en rapport avec la délinquance est scientifiquement non fondé. En tant que linguistes, nous sommes en mesure d'affirmer, sur la base de nombreux travaux réalisés en France comme à l'étranger, depuis maintenant plus d'une trentaine d'années, que les choix de langues dans la communication familiale ne constituent pas en soi un facteur de risque. Il suffit de considérer la diversité des familles dans lesquelles plusieurs langues sont utilisées pour constater l'absence de corrélation entre bilinguisme et délinquance. En revanche, d'autres champs des sciences humaines et sociales montrent que certaines conditions de vie, caractérisées par une faiblesse des ressources matérielles et symboliques, augmentent les probabilités de " carrière déviante " pour les enfants qui sont socialisés dans ces cadres.
. L'État n'a pas vocation à réglementer les usages linguistiques au sein des espaces privés que sont les familles, même si les témoignages abondent de personnes à qui il a été déconseillé de parler leur langue à leurs enfants, au motif de risques d'échec scolaire. Cela est d'autant plus étonnant que l'État incite par ailleurs au maintien et au développement de la diversité linguistique. On en prendra pour seul exemple un extrait du B.O. hors série n° 1 du 14 février 2002, intitulé " Objectifs et programmes pour l'école maternelle " : " Selon les ressources présentes dans la classe, dans l'école ou dans son environnement immédiat, les langues parlées par des élèves dont le français n'est pas la langue maternelle sont valorisées. On peut présenter des énoncés, des chants ou des comptines dans ces diverses langues, en particulier lors d'événements festifs (anniversaire d'un élève, fête dans l'école...), et mémoriser les plus faciles. L'intervention ponctuelle de locuteurs de ces langues est favorisée. "
Comment un enseignant pourrait-il, en maintenant un minimum de cohérence dans sa pratique professionnelle, respecter les directives proposées dans ce rapport et les orientations officielles inscrites dans les programmes de l'école maternelle ?
Enfin, et sur un tout autre plan, le fait que nous soyons obligés de réagir par le biais de cette lettre aux élus de la nation, soulève deux questions plus larges :
. Cette réaction de notre communauté scientifique, directement concernée, pose, en premier lieu, avec une certaine acuité, la question des relations entre le monde de la recherche et celui de la décision et de l'action politiques. Certes, la décision et l'action appartiennent indiscutablement à la sphère politique, mais supposent une étape préalable d'information : quelle peut être, dans ce processus, la portée des recherches en sciences humaines et sociales ?
. En second lieu, les résultats de ces recherches financées essentiellement par l'État, ne devraient-elles pas avoir comme finalité ultime d'apporter des éléments de réflexion utiles à l'élaboration des politiques sociales ?
L'ensemble des signataires de cette lettre :
. Souhaiterait vivement établir un dialogue avec les auteurs du rapport - quel que soit leur degré d'implication dans les travaux de la commission - à propos des conceptions linguistiques qui sous-tendent ce document ;
. Se déclare également prêt à contribuer à toute opération de discussion / réflexion / concertation / conseil qui semblerait nécessaire à l'information de la sphère politique en matières de questions relatives aux langues (Contrat d'accueil et d'intégration, didactique du français et des langues étrangères, politiques linguistiques en faveur du français, des langues régionales, des "langues de France", des langues en Europe, du français dans le monde, etc.).
Compte-rendu de l'audition de Michel Grenié, Louis-Jean Calvet et Philippe Blanchet, linguistes, par la commission « prévention » du Groupe d'étude Parlementaire sur la sécurité Intérieure (GEPI), à l'Assemblée nationale le mardi 29 mars 2005 de 17h à 19h.
Cinq députés, dont M. Bénisti, qui préside la commission, et deux députés PS qui se sont déclarés en désaccord avec le pré-rapport, sont présents (un bref échange entre les membres de la commission semble montrer que M. Binisti était l'unique auteur du pré-rapport, qu'il ne l'avait pas été soumis aux autres parlementaires et que certains s'en plaignaient poliment). L'assistante parlementaire de M. Bénisti prend des notes pour préparer un compte-rendu.
M. Bénisti présente les objectifs de la commission (« prévention d'une délinquance croissante chez les jeunes ») et insiste notamment sur la question linguistique en s'appuyant sur des déclarations d'enseignants à propos d'élèves « ne comprenant pas le français » qu'ils sont alors amenés à marginaliser dans leurs classes. Il fait allusion aux réactions suscitées par son pré-rapport, qui a été envoyé au Ministre à la demande urgente de ce dernier et sans que ce pré-rapport n'ait été examiné par la commission.
Après une rapide présentation des trois linguistes, chacun dans un champ de compétence complémentaire, nous avons pris la parole dans l'ordre suivant : Michel Grenié, Louis-Jean Calvet et Philippe Blanchet.
M. Grenié a tout d'abord insisté sur les approximations et les biais méthodologiques du rapport, notamment le pseudo-graphique initial et les a-priori sur l'acquisition, la pratique des langues et sur des visions eugénistes de la société datant du XIXe siècle. Il a ensuite présenté les objections générales contre l'idéologie monolingue sous-jacente à ce document, qui fait l'impasse sur les causes socio-économiques de marginalisations et de parcours « déviants ». Un débat a eu lieu avec les députés, qui objectent d'abord sur le mode « nous on pratique le terrain », et qui admettent ensuite les effets (involontaires ?) induits par le rapport qui implique que le plurilinguisme des migrants serait à la source de la délinquance. J.-A. Bénisti revient néanmoins à la charge sur les migrants maghrébins et d'Afrique subsaharienne.
L.-J. Calvet a pris la parole en insistant, précisément, sur le fait que nous sommes des linguistes de terrain, et a cité ses travaux sur les communautés migrantes de Belleville et de Marseille, puis sur certaines situations africaines qui expliquent les rapports divers entretenus avec le français et les formes de plurilinguisme par des locuteurs issus de diverses cultures et divers contextes sociolinguistiques. Il est revenu sur les illusions de scientificité du graphique déjà mentionné et a affirmé l'absence de corrélation entre pratiques linguistiques et délinquance. Il indique ensuite que les enfants issus de la migration ont des résultats scolaires bien meilleurs lorsqu'ils dominent leur langue d'origine (comme les chinois par exemple) que lorsqu'ils la dominent mal ou pas du tout (comme les africains ou les maghrébins). De ce point de vue, il serait souhaitable de cultiver le bilinguisme des enfants de migrants, de les mettre à l'aide dans leur double culture potentielle. Un débat s'ensuit, qui porte notamment sur les facteurs socio-économiques jouant pour ou contre l'intégration de migrants, et sur les représentations sociales de la société d'accueil et leurs effets dans l'acceptation ou le rejet de groupes de migrants.
Ph. Blanchet a pointé divers amalgames et confusions présents dans le rapport, notamment, outre ceux déjà mentionnés précédemment, entre monolinguisme, plurilinguisme et niveau de compétence linguistique, entre acquisition familiale et acquisition sociale, entre plurilinguisme et « délinquance ». Il a rappelé que tous les travaux récents sur ces questions préconisent un plurilinguisme non contrarié, ce que les orientations de l'éducation nationale ont pris en compte depuis quelques années. Il attire l'attention sur les risques d'insécurité linguistique, de syndrome identitaire de la « 3e génération », déjà rencontrés à propos des langues régionales, en cas de déprivation des langues de référence culturelle au profit d'un monolinguisme forcé. Un débat a eu lieu sur la possibilité effective d'envisager l'enseignement des langues dans cette dynamique plurilingue, jusque là inconnue des parlementaires.
M. Grenié, L.-J. Calvet et Ph. Blanchet ont tous trois donné des réponses à ces questions en termes d'acquisition, de politique linguistique éducative, de compétences plurilingues et de formation des enseignants. En particulier, ils insistent sur le fait qu'il est souhaitable d'aider de toutes les façons possibles les migrants à mieux manier le français pour les aider dans leur insertion, mais qu'il est en même temps souhaitable de les inciter à mieux transmettre leur langue d'origine à leurs enfants. Pour conclure chacun a rappelé quelques unes des maladresses ou erreurs de ce pré-rapport à éviter absolument, et tous ont conclus sur l'absence totale de corrélation de prédictibilité entre pratiques de langues autres que le français, migration et « délinquance ».
Après-propos : Une des difficultés rencontrées est l'absence grave d'information sur les questions linguistiques de la part des députés. Une autre se trouve dans des a priori idéologiques manifestes, soit à l'encontre de certains groupes de migrants (notamment de la part des députés de droite), soit à l'encontre de la pluralité linguistique (et ceci y compris de la part de députés de gauche). Enfin, la méthode de travail de cette commission est visiblement lacunaire, centrée sur des anecdotes empiriques telles que perçues par les parlementaires ou certains informateurs trop ponctuels, et sur des avis reçus en réponse à des présupposés pathologisants. Mais notre audition est un signe positif. Beaucoup de notes ont été prises. Reste à voir ce qui en découlera.
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